Je ne veux pas adhérer à Doulas de France

La profession de doula n'est pas réglementée, que ce soit la formation ou la pratique en elle-même. C'est d'ailleurs ce qui pose problème parfois car il n'y a pas d'indicateurs pour savoir à qui l'on a à faire. Pour le métier d'infirmière, c'est plus simple, il y a un diplôme d'Etat et l'adhésion à l'ordre infirmier pour exercer.

L'association Doulas de France semble vouloir mettre en place un fichier national des doulas. Pour en faire partie, il faut être adhérente de l'association, signer une charte de bonnes pratiques et répondre à leurs critères de formation. 

Personnellement, je ne veux pas adhérer à cette charte et je vous explique pourquoi. J'ai choisi de prendre les éléments de cette charte qui m'interpellent le plus.

 

"Nous accompagnons toute personne qui en fait la demande, sans discrimination"

 

C'est la première phrase de la charte, après le préambule. Et déjà, je ne peux pas être d'accord. Car non, je n'accompagne pas "toute personne qui en fait la demande". J'ai mes conditions pour les accompagnements. 

J'ai des conditions sécuritaires. C'est-à-dire que je ne vais pas accompagner une femme qui se met en danger ou met son bébé en danger. Si une maman avec un problème de coagulation me dit vouloir accoucher à domicile sans prévenir la sage-femme de son problème, je dirai non. 

J'ai des conditions financières. Je ne suis pas bénévole, c'est mon travail et j'en ai besoin pour nourrir ma famille. Mes accompagnements ne sont pas pris en charge, ni par la sécurité sociale, ni par les mutuelles. Donc je suis discriminante, par l'argent. Mais est-ce que ces mêmes mamans n'ont pas un salaire elles aussi avec leur travail ?

 

"Nous l'aidons, sans la conseiller, à accéder par elle-même aux informations qui lui sont nécessaires"

 

C'est une grande question dans le monde des doulas, nous ne devrions pas donner d'information. Nous devrions juste être là pour écouter. Sauf que pour moi, c'est justement par manque d'informations que tant de mamans sont en difficultés. Et c'est aussi souvent ce que viennent chercher les parents. La plupart des personnes que j'accompagne ont déjà un enfant, avec un accouchement qui ne s'est pas passé comme elles auraient voulu. Et elles font appel à une doula pour comprendre pourquoi il y a eu un déclenchement, des instruments, une césarienne... 
Et puis les informations ne sont pas toujours accessibles ni compréhensibles. Et c'est aussi un conseil que de savoir où trouver les infos. Certes sur les réseaux on peut trouver beaucoup d'informations, mais beaucoup sont fausses aussi ! Il y a aussi beaucoup de pseudo-sites scientifiques, alors forcément quand on est diplômé du domaine de la santé, on arrive mieux à faire le tri dans les infos. 

 

"Nous soutenons les parents dans leur cheminement et dans la recherche de la vérité."

 

Bien sûr et moi aussi. Mais c'est la suite du paragraphe qui me gêne le plus. Il est noté : "Nous les accompagnons lorsque leur confiance se perd, que ce soit par la multiplication des intervenants, les injonctions diverses, les conseils, par leurs vécus personnels, par l'isolement ou un environnement défavorable. Dans ce contexte, nous sommes à leurs côtés dans la continuité, car nous pensons que cette dimension est fondamentale pour les parents". Personnellement, je ne pourrais pas rester aux côtés des parents qui se mettent en danger ou mettent en danger la vie de leur bébé. Oui si on dépiste une maladie cardiaque à la 2e écho, il va y avoir multiplication des intervenants, vous allez avoir pleins de conseils, d'examen, vous aurez sûrement pleins d'injonctions. Je peux vous accompagner à les vivre, nous pouvons en discuter. Mais si des parents me disent alors, on arrête tout et on veut accoucher à la maison sans personne, alors je ne pourrais pas les suivre dans leur positionnement. Donc non, je ne peux pas assurer que je serai toujours là dans la continuité, cela dépend du contexte.

 

"Nous ne sommes pas thérapeutes et ne réalisons aucun acte médical"

 

Je ne suis effectivement pas habilitée à dispenser d'actes médicaux, mais paramédicaux, oui. Je suis infirmière et cotise à l'Ordre Infirmier. Par conséquent, je suis en capacité de prendre une tension à une maman en fin de grossesse qui me dit qu'elle a des points noirs devant les yeux. 
Et pour ce qui est de la posture de thérapeute, beaucoup de doulas affichent cette double casquette, avec la plupart du temps des pratiques non conventionnelles, comme des soins énergétiques, des massages thérapeutiques et autres. 

 

"Nous reconnaissons la dimension de la naissance comme initiatique, transformatrice et sacrée"

 

Ok, donc là on entre dans le chamanisme et autres mouvances ésotériques à la mode ! Bien sûr que la naissance d'un enfant vient bouleverser la vie que l'on pouvait avoir en tant que couple, en tant qu'individu mais je n'irai pas jusqu'à le dire en ces termes et donc encore moins apposer ma signature sur un document qui le mentionne. Tous les parents que j'accompagne ne sont pas en recherche de "sacré" pour la naissance de leur enfant. Toutes les mamans ne sont pas en recherche d'un rite initiatique pour la naissance de leur bébé. 
Alors oui la naissance d'un enfant est quelque chose d'extraordinaire et qui mérite le respect. Mais je crois que les naissances étaient beaucoup plus respectées quand elles étaient considérées comme un acte ordinaire de la vie d'une femme, quand elles enfantaient à la maison avec une sage-femme. Comme maintenant, dans les pays industrialisés, les naissances sont considérées comme exceptionnelles, il faut aussi qu'elles soient parfaites et sécures. Donc la future mère se retrouve dépossédée de son corps, de sa physiologie, de ses envies. La médecine se charge de tout mais est-ce vraiment indispensable ? La médecine ne vient t-elle pas se positionner en tant que grand manitou protecteur qui va sauver la mère et l'enfant ?
Peut-être que justement en arrêtant de promouvoir le caractère sacré de la naissance, certains arrêteraient de se voir en maître initié à l'art de l'accouchement. Et les femmes qui accouchent pourraient retrouver leur capacité à enfanter plutôt que de s'en remettre à une personne "initiée"

 

"Nous pouvons accompagner tout évènement de vie"

 

Là non plus, je ne suis pas d'accord avec cette charte. Je ne me sens pas légitime pour tout accompagner. Plus loin dans le texte il est noté que les doulas peuvent accompagner les parcours de transitions ou la ménopause. 
Les parcours de transitions sont complexes, tant au niveau des traitements, de l'administratif que de la psychologie de la personne. J'ai travaillé assez longtemps en service de psychiatrie pour le savoir. Et nous avions des personnes en transition de genre et je peux vous dire que ce n'est vraiment pas facile de les accompagner. En plus, quand on voit actuellement le nombre de procès aux Etats-Unis que les enfants font à leurs parents pour les avoir laisser changer de sexe, je pense qu'il faut vraiment laisser cette partie à la médecine. Je ne crois pas que ce soit la place des doulas. 
Pour ce qui est de la ménopause, je pense que c'est aussi vraiment complexe. Ce n'est pas juste une question d'hormones. C'est aussi un moment où les enfants grandissent, avec tous les problèmes que pose l'adolescence et le départ du foyer familial, c'est beaucoup de deuils à faire. La doula devient donc thérapeute plus qu'accompagnante, donc ce n'est plus sa place, ni la formation qu'elle a reçue. Et puis je pense que l'expérience personnelle joue aussi beaucoup. Personnellement, j'aurai du mal à faire confiance à une jeune doula pour me parler de ménopause, je serai plus à l'aise avec une femme qui a déjà traversé ce passage.

 

Cette charte n'est faite que de contradictions

 

Dans le dernier paragraphe, on peut lire : "chacune d'entre nous exerce selon sa sensibilité, ses statuts, ses limites". C'est donc en contradiction avec le début où il est demandé aux doulas d'accompagner tout le monde sans discrimination. 

A la première lecture de cette charte c'est ce qui m'a frappé. On dirait que les auteurs ont voulu faire plaisir à toutes les doulas, les sages-femmes et autres et du coup l'ensemble de ce texte se contredit en permanence. Les doulas doivent accompagner tout le monde mais dans leurs limites. Elles ne doivent pas informer mais accompagnent les parents sur "les plans émotionnel, physique, informatif et pratique". Elles doivent se baser "sur des sources scientifiques fiables" mais reconnaitre la dimension "initiatique" de la naissance. 

Je comprends qu'il est difficile de définir le rôle de la doula, d'autant qu'il n'y a pas de critères de formation. Mais ce n'est pas non plus une raison pour signer une charte pour faire plaisir à tout le monde. Le seul intérêt que j'y vois, c'est qu'elle vient assurer aux futures et jeunes parents que la doula a suivi une formation. Et encore, il faudrait nuancer les formations, celle que j'ai suivi n'y est pas. Pourtant nous avions une doula formée en Angleterre, où les doulas sont intégrées dans le système de santé. Nous devions aussi faire des stages, ce qui n'est pas le cas de toutes les écoles et la formation était sur 2 ans. 

 

J'ai donc choisi de ne pas signer cette charte. Pourtant sur plusieurs sites elle devient une référence pour la légitimité de la doula, comme sur resalib par exemple.
Mais j'ai mes limites et les reconnaître c'est aussi respecter la personne qui vient me voir.
Ma liberté est la garantie de votre liberté. 

 

 

Novembre 2025